Hugues de Montfelix et le destin anglo-normand de la maison de Blois-Champagne
3 familles ? Une seule maison ?
Depuis près d'un siècle, les historiens et généalogistes des différentes branches de la maison de Pierrepont, tant françaises qu'anglaises ou américaines, se heurtent à l'insoluble lien entre 3 groupes familiaux fieffés au mitant du XIIème siècle à la fois aux marches de la Normandie (Pierrepont en bray, dans la mouvance du comté d'Eu), aux marches du comté de Champagne (Pierrepont en Laonnois dans la mouvance de la duché-pairie de Laon) et en Angleterre dans le Sussex et le Suffolk dans la mouvance des comtes de Warenne.
En 2016, Stéphane Lecouteux, mettant à profit les travaux de Régine le Jan sur les transmissions de prénoms dans l'aristocratie franque, a rapproché les Pierrepont du Laonnois des Pierrepont de la branche Normande du XIème siècle, en démontrant les liens familiaux étroits avec les Enguerrand des maisons du Vimeu du Ponthieu et de l'Amiénois telles que les Coucy et les comtes de Ponthieu. Il ne fait dès lors plus de doute qu'au moment de la Conquête de l'Angleterre il s'agit d'un seul et même groupe familial qui se retrouve fieffé de part et d'autre de la Manche.
Mais qu'en est-il ensuite ? En 2013 à son tour, le Professeur Michel Bur a démontré qu'à une branche de la famille Laonnoise des Pierrepont, avait succédé dans les années 1138/1146 un bâtard du comte de Thibaut de Champagne, nommé Hugues de Montfélix. En quoi ces données nouvelles permettent elles d'éclairer tant l'origine de la branche anglaise de la maison de Pierrepont, que la disparition à la même période de cette maison de l'horizon haut normand ?
En effet, les généalogistes américains et anglais se heurtent au règne anglais d'Henri 1er Beauclerc (1100-1135) et peinent à raccrocher l'origine de la branche anglaise aux Pierrepont possessionnés dans le Domesday Book. Enfin les historiens français y compris Nicolas Stephant en 2007, peinent à expliquer comment une famille normande fieffée dans le comté d'Eu au XIème siècle (Pierrepont en Bray), se retrouve deux siècles plus tard, tenir des abbés de Fécamp des terres dans le Bessin (Pierrepont en Lantheuil).
Un destin étroitement lié à celui de l'oncle Etienne de Blois-Champagne, roi d'Angleterre (1135-1141) et duc des Normands (1135-1144)
Pour cela il faut remettre à plat la géopolitiques des années 1135-1144 : A la mort du plus jeune des fils du Conquérant, Henri 1er Beauclerc le 1er décembre 1135, s'ouvre une période de grande instabilité. Les couronnes échoient à Etienne de Blois (King Stephen) roi d'Angleterre (1135-1141) et duc des Normands (1135-1144). Or Etienne, est l'oncle d'Hugues de Montfélix. Il ne règnera jamais en paix, ni sur l'Angleterre, ni sur la Normandie. A l'issue de cette période troublée que les historiens britanniques nomment "the Anarchy", advient la maison d'Anjou avec Geoffroy Plantagenêt en Normandie puis Mathilde et Henri II au trône d'Angleterre.
Or comme le décrit très bien le schéma ci-contre, Hugues de Montfélix succède en 1138 à la faveur de son père le Comte Thibaut de Champagne à la puissante famille des Pierrepont de la première dynastie, apparentés aux Coucy, et dont les terres s'étendent de part et d'autre de Boves aux marches des comtés de Champagne et de Vermandois, et aux marches du duché de Normandie.
Ce faisant il accède à leurs terres en Normandie et en Angleterre. C'est ce qu'attestent diverses
chartes où il apparaît avec son beau-frère Guillaume entre 1130 (1) et 1146. Les ordonnateurs de ces chartes sont Henri 1er d'Eu, suzerain des terres normandes et époux de sa cousine germaine Marguerite de Sully, et Guillaume III de Warenne, suzerain des terres anglaises des Pierrepont et partisan de son oncle Etienne de Blois dans les querelles pour la couronne d'Angleterre.
Ainsi Hugues apparaît-il dans au moins 3 chartes entre 1138 et 1146 au profit des abbayes anglaises de Lewes et de Drewsbury et dans une charte au profit de Saint-Lucien de Beauvais (1) à la datation plus incertaine.
En 1146 et 1149 deux chartes permettent probablement d'identifier Robert, le fondateur des branches anglaises
Il apparaît enfin une décennie avant sa mort en 1149 dans une ultime charte au profit de Lewes en compagnie de son fils aîné Robert, permettant ainsi d'identifier le véritable fondateur de la branche anglaise de la famille. Robert apparaît également aux côtés de son père et de son oncle par alliance Guillaume de Pierrepont dans une charte de 1146 pour des terres anglaises, datée du départ de ce dernier pour la deuxième croisade dont, d'après le Pr Bur, il ne reviendra pas. Robert se retrouve aisément dans les actes postérieurs, et permet de "raccrocher" à la tradition généalogique des branches anglaises qui sont plus claires à partir du règne d'Henri II Plantagenêt qu'à la jointure des règnes d'Henri Ier Beauclerc et d'Etienne de Blois.
Mais dès 1144 la terre de Pierrepont en Bray était perdue
Entretemps sur le continent le vent a aussi tourné pour le destin anglo-normand de la maison de Blois-Champagne : Geoffroy V Plantagenêt s'est fait couronner duc des Normands dès 1144 après avoir chassé du château de Neufchâtel en bray les partisans de Guillaume III de Warenne et d'Etienne. Comment douter que les Pierrepont fussent parmi les proscrits ? Hugues de Pierrepont, fils cadet d'Hugues de Montfelix sera donc "seulement" sire de Vanault et de Pierrepont, vassal des ducs évêques de Laon et des comtes de Champagne ses cousins. Cela met un terme à la présence des Pierrepont en Normandie pour un demi-siècle, jusqu'au retour de ses enfants dans les bagages de Philippe Auguste en 1204 à Pierrepont en Lantheuil et à Pierrepont en Cotentin, en basse-Normandie.
D'ailleurs, l'influence champenoise dans la reconquête de la Normandie par Philippe Auguste sera grande, et les Pierrepont aux premières loges pour prendre leur revanche sur les Plantagenêt. Le cousin germain d'Hugues de Montfélix, Hugues de Sully abbé de Fécamp jusqu'en 1187 facilitera peut-être l'installation de ses neveux à Pierrepont en Lantheuil ? Mais c'est une autre histoire...
Un résumé de la vie d'Hugues de Montfélix
Hugues a environ :
14 ans lorsque son père épouse Mathilde de Carinthie (1123)
18 ans quand naît son demi-frère Henri Ier le libéral (1127)
20 ans lorsque débute sa querelle avec l’abbé de Gorze (1129)
21 ans lorsque Henri 1er d’Eu fonde l’abbaye de Foucarmont (1130)
28 ans quand son oncle Etienne se fait couronner roi d’Angleterre (1135)
30 ans quand il épouse Alix de Pierrepont (1137)
31 ans quand il témoigne du don de Guillaume III de Warenne pour Drewsbury (1138), qu’il clôt son litige avec l’abbé de Gorze et que nait probablement son fils aîné Robert
33 ans lorsque son beau-frère Gui de Pierrepont est élu au siège épiscopal de Chalons (1142)
35 ans quand Geoffroy V d’Anjou se fait couronner Duc de Normandie à Rouen (1144) après avoir pris le château de Neufchâtel en Bray en janvier aux hommes de Guillaume III de Warenne et d’Etienne
36 ans quand nait son second fils Hugues (1145)
37 ans au départ la deuxième croisade (1146) où son suzerain Guillaume III de Warenne, son demi-frère Henri et son beau-frère Guillaume de Pierrepont partent. Il est témoin cette année là d’une charte en faveur de l’abbaye de Lewes aux côtés de Guillaume et Robert de Pierrepont
39 ans quand les croisés sont battus (1148) et que son beau-frère Guillaume de Pierrepont décède d'après le Professeur Bur
40 ans en 1149 quand il est témoin d’une nouvelle charte en faveur de l’abbaye de Lewes avec le seul Robert de Pierrepont son fils âgé de 10 ans
50 ans lorsque’il décède en 1159 laissant deux fils Robert, 20 ans fieffé en Angleterre et Hugues, 14 ans fieffé en Champagne. Sa maison a perdu les terres normandes, et ce sont les fils cadets d’Hugues et Clémence : Gauthier et Alain qui s’installeront à Pierrepont en Lantheuil et à Pierrepont en Cotentin au siècle suivant dans les bagages de Philippe Auguste
(1) Source : Gallica : La datation par Peigné Delacourt (1109) nous semble douteuse et nous proposons une datation plus tardive autour de 1130 pour cette charte d'Henri Ier