le marquis Charles-Hyacinthe, toujours volant de victoire en victoire
1802 - 1808 Du camp de Boulogne à l’Oural
vendredi 23 décembre 2005, par Nicolas Stephant
Charles de Pierrepont des Biards, dragon de l’empereur.
Après l’article relatant l’histoire d’Eugène de Pierrepont, fils du marquis des Biards, voici l’histoire de son frère aîné Charles, également parti pour l’armée, dont les lettres à sa mère ont été conservées en même temps que celles de son frère [1].
Charles Hyacinthe est né le 1er Mars 1781 de Pierre Charles Remond marquis de Pierrepont et Madelaine Jeanne Françoise Folliot de Fierville. Alors que son frère a écrit 9 lettres, il en écrira 43 entre 1802 et 1808. Outre l’abondance des textes, Charles donne plus de détails que son frère sur ce qu’il vit et se révèle beaucoup plus précis en maintes occasions. Lorsque commence sa correspondance, il est l’aîné des enfants et virtuellement chef de famille depuis la mort de son père, exécuté en 1792. Nous ne savons pas pourquoi il part pour l’armée ; sans doute a t-il trouvé naturel de choisir la carrière des armes comme son père, ou bien, il a été tiré au sort pour partir.
Comme pour son frère, le sujet récurrent des lettres est une demande d’argent à sa mère. Bien qu’il ne soit pas officier, il est considéré par ses supérieurs comme un élève officier (« comme l’étaient autrefois les cadets ») et mange donc à la table des sous-lieutenants à ses frais ; la révolution a normalement aboli ce privilège mais il semble avoir la vie dure. Ce qui n’est plus inscrit dans les règles réussit à survivre dans les mœurs. Ses conditions de vie sont toutefois aussi dures que celles décrites par son frère et il va souvent demander, comme lui, qu’on l’aide à supporter la rudesse de sa vie en lui envoyant des vêtements, des chaussures et même, dans un moment très pénible, une volaille !
Le début de sa correspondance se situe probablement en Juillet 1802 (l’année ne figure pas) ; il se trouve à Caen et espère obtenir un congé. Il annonce : « Je ne sais point encore, ma chère maman ce que je deviendrai » mais qu’il entrera sans doute dans la cavalerie, en l’espèce, le régiment de dragons de Mr de Chavagnac qui est stationné dans cette ville, à l’exemple de quinze jeunes gens, dans le même cas que lui, qui viennent d’y être incorporés. Il a pris pension dans une auberge (dont le loyer lui causera quelques soucis d’argent par la suite) : hôtel de la levrette, chez Lemarchand, rue St Etienne près la Belle Croix. Son régiment sera le 10éme dragon, qui fait partie de la cavalerie de ligne ; il est organisé en 5 escadrons de 100 à 200 cavaliers capables également de combattre à pied. Nul doute qu’il n’est pas à l’armée depuis très longtemps, il est dans la 5ème compagnie.
La lettre suivante (également sans l’année) annonce l’obtention du congé et son arrivée par Isigny (moins cher que par Saint-Lô) où il faudra lui envoyer des chevaux ; toutefois, ce voyage n’aura lieu que si on lui envoie de l’argent ! Dans cette période, Napoléon vient d’être proposé au consulat à vie. Après une longue période de guerre depuis 1792, la France connaît une courte parenthèse de paix. Il est encore possible de partir en permission mais ce sera bientôt beaucoup plus difficile.
Prisonnier
En Septembre 1802, d’abord en mission auprès du général La Roche, Charles, de retour à Caen, écrit à sa mère pour qu’elle l’aide à obtenir une permission en lui fournissant une fausse excuse : un partage entre héritiers « Vous direz qu’il faut absolument que je m’y trouve ». Novembre le verra quitter Caen, il annonce son départ pour Bayeux et Saint-Lô , heureux de se rapprocher de sa mère.
le 27 Pluviôse an 11 (16/02/1803), Charles est à Bayeux, il revient de Saint-Lô et connaît une passe difficile puisqu’il apprend à sa mère que sa punition consiste en 8 jours de salle de police après avoir passé 3 semaines en prison ! l’affaire lui a coûté cher car tout s’achète en prison, hormis la livre ½ de pain qui est généreusement octroyée chaque jour. Il en sort malade au point qu’il annonce son entrée prochaine à l’hôpital et ce n’est pas de gaieté de cœur car cet endroit a très mauvaise réputation chez les français de l’époque. Au bout d’un mois, il va mal au point de ne plus pouvoir marcher, la fièvre le dévore, mais il finira par se remettre (21 Mars) sans passer par l’hôpital. Pour quelle raison a t-il été en prison ? Le long délai sans lettre laisse penser à une désertion ou à un congé prolongé sans autorisation. La fausse bonne excuse a t-elle fait long feu ?
La descente en Angleterre
Il passe ensuite 1 mois à Port en Bessin en détachement puis revient à Bayeux d’où il raconte les premières rumeurs de guerre. Comme on l’a vu avec Eugène, les soldats savent très peu de choses sur ce qui va leur arriver à long terme et les rumeurs qui courent parmi eux sont assez souvent fausses ; nos deux frères vont apprendre avec le temps à ne pas s’y fier. Pourtant, celle-ci est vraie, les indices sont trop évidents : « il nous vient beaucoup de recrues [...] on habille tout le régiment à neuf [...] tous les congés sont suspendus ». En effet, en prévision d’une reprise de la guerre avec l’Angleterre, Bonaparte vient de lever 60000 recrues il y a deux jours (26 Avril 1803) et il ne va tarder à masser ses troupes à Boulogne dans l’idée d’envahir l’Angleterre. Charles reçoit la visite d’Eugène et en profite pour lui faire porter une courte lettre à sa mère car le reste sera raconté de « vive voix » par son frère.
Charles prodigue des conseils aux siensLe 3 Juillet, Charles est à Caen et parle d’un raid des anglais sur Dives, 15 jours auparavant, dont ils repartent avec 60 bestiaux. Le blocus de toutes les marchandises en provenance, ou, à destination de l’Angleterre a commencé, il faut bien aller chercher son steak quelque part.... Charles est de garde tous les trois jours pour pallier à l’absence de fantassins avec eux et se plaint de ce service très pénible. Le 25 Juillet, son départ a été retardé par l’arrivée de 150 conscrits mais il fait partie des trois escadrons de dragons les plus instruits dans la manœuvre qui sont prêts à marcher au premier besoin. Le général Grouchy, inspecteur général de la cavalerie, est très content du régiment et veut lui procurer tous les moyens de se distinguer à la guerre. Le 12 Août, il connaît sa destination. Il part pour « l’armée de réserve » à Compiègne et se plaint de manquer d’argent pour boire une bouteille à l’étape et se réconforter d’un trajet long et freiné par 300 nouvelles recrues qu’il faut surveiller étroitement car elles ne demandent qu’à déserter. Grouchy est resté célèbre pour être arrivé trop tard à Waterloo, mais c’était surtout un excellent général de cavalerie et il va le prouver en participant activement à la campagne de Prusse de 1806.
La chasse aux conspirateurs
Seule une partie du régiment partira pour Compiègne. Charles ne fera pas ce voyage car, début Septembre, il patrouille sans relâche le long de la mer. Il s’agit d’empêcher le retour de Georges Cadoudal qui débarquera quand même le 20 Août à Biville, suivi, le 16 Janvier, par le général Pichegru, Jules de Polignac et le marquis de la Rivière. Ils vont préparer un complot visant à l’enlèvement du 1er consul avec la complicité du général Moreau. Les mémoires du capitaine Amblard [2] font allusion à cet épisode : « De là, on nous envoya sur les côtes. C’était dans le temps que le général Pichegru et Georges Cadoudalcherchaient á débarquer pour rentrer en France. Notre régiment, les douaniers et les canonniers gardes-côtes ne cessèrent pendant longtemps de faire des patrouilles le long de la mer. Malgré toute la surveillance qu’on put y mettre, ils débarquèrent sans qu’on les aperçut. »
Le 7 Octobre, Charles est à Amiens où se trouvent rassemblés 5 régiments de dragons, 8000 hommes, commandés par Grouchy « et il y a un camp à Boulogne de 15000 hommes ». « Plusieurs prétendent que nous allons embarquer tant infanterie que cavalerie ».
Début Novembre, Bonaparte est à Boulogne ce qui provoque le rapprochement de Charles à 10 lieues de cette ville (Pecquigny) après avoir cantonné dans les environs de Corbie. « Tous les jours il arrive de l’artillerie, des troupes et des munitions de toutes espèces ». Le projet d’invasion mobilise une immense énergie humaine comparable seulement à celle déployée en 1066 par Guillaume et ses normands. Le 12 Novembre Charles parle de 100000 fantassins et 20000 cavaliers dans une lettre de Belloy sur Somme.
Dragons sous l’EmpireLes préparatifs comprennent des revues de troupes et des manœuvres et la revue de l’inspecteur de la cavalerie de mi-Décembre va mal tourner pour Charles : « Je suis très mal, étant à l’hôpital dans une grange où il y a des malades de toutes espèces ». Son cheval s’est abattu sous lui et son pied a été demis. Heureusement, il n’y aura pas de séquelles et il sort de l’hôpital dès qu’il peut se servir de son pied. Il qualifie les préparatifs d’immenses mais avoue ignorer sa destination ; les rumeurs sont nombreuses et il ne peut pas les vérifier « On dit que les régiments de dragons vont être mis à pied pour former une troupe de grenadiers d’élite ». De Saint-Marcouf est venue la nouvelle que son frère avait tiré « le billet blanc » et Charles se réjouit de ce qu’Eugène échappe à l’armée.
La conspiration de Cadoudal va le relancer sur les routes avec un pied encore un peu enflé ; le 11 Février 1804 il écrit de Mesnières : « Nous sommes toujours en course pour prendre les agents de Georges, on en a arrêté plusieurs, voilà 3 nuits que je suis de patrouille ». Le 26, il écrit de Neufchatel (Seine inférieure) pour se plaindre de son sort. Il n’a pas été payé depuis qu’il chevauche et les vivres sont extrêmement chers à cause des nombreuses troupes qui sont à Dieppe ; il ne fait qu’un repas par jour et ne voit pas la fin de l’aventure « car on dit que nous allons partir du côté de la Bretagne avec le général de gendarmerie Savary ». Les recherches sont actives « On arrête tous les jours beaucoup de personnes suspectées de donner asile à Georges Pichegru et leurs complices ».
L’assassinat du Duc d’Enghien1873 Huile sur toile 1,65 x 1,04 Alençon, musée des Beaux-arts et de la Dentelle (D. 874 .1.1)
Pichegru, Cadoudal et les principaux complices seront finalement arrêtés et mourront rapidement après procès ou en prison. Le complot aura une suite inattendue et conduiraNapoléon à sa plus grave erreur politique. L’un des complices ayant évoqué le duc d’Enghien, l’empereur, alarmé par la popularité du jeune homme et le prestige de sa naissance, le fera enlever secrètement à l’étranger et finalement fusiller dans les fossés de Vincennes ; Le duc n’était pas coupable et son assassinat renforcera la motivation des ennemis de l’empereur.
Longue maladie
Charles n’a plus à courir. On le retrouve à Abbeville le 18 mai 1804 : « On ne parle plus du tout d’embarquement, je ne sais point s’il est différé ». Les recrues continuent pourtant d’arriver et ce sont des brabançons qui ne parlent pas un mot de français.
Un long silence s’ensuit et nous retrouvons Charles à l’hôpital militaire d’Amiens où il est entré le 5 Août. Il a repoussé le plus possible l’échéance et dépensé tout son argent pour acheter des médicaments et « d’autres choses » . « Je vais être bien malheureux à l’hôpital où si l’on veut quelque chose à son goût, il faut le payer au poids de l’or [...] ici pour première parole on m’a dit diète, vous prendrez demain un vomitif. De combien d’autres drogues va t-il être suivi, j’en tremble d’avance. O mon chère Eugène et ma chère soeur, ne m’abandonnez pas à mon malheureux sort, adieu ma chère maman la faiblesse seule me fait cesser ma lettre. » Le 26 Août, il va un peu mieux et donne des détails sur les méthodes thérapeutiques de l’hôpital : « Je suis de la plus grande faiblesse qui provient de toutes les drogues que j’ai prises, cependant l’appétit me revient ce qui n’est pas étonnant après avoir été 22 jours sans prendre autre chose que du bouillon ». Enfin le 3 Septembre : « Je suis toujours très faible, depuis 8 jours je n’ai plus la fièvre [...] j’espère sortir de l’hôpital sous une quinzaine ». Et il en sort !
Nous le retrouvons à Pont de Metz, au sud d’Amiens, le 26 Septembre : « Ce n’est pas que ma santé soit encore bien raffermie mais j’espère que l’air de la campagne me fera du bien et me rendra les forces ».
Sacre de Napoléon
Il quittera ce cantonnement le 27 Novembre 1804 pour se rendre à Paris et participer à la grande cérémonie du sacre du nouvel empereur des français, comme il le raconte dès son retour, dans une lettre du 15 Décembre : « il est impossible de vous décrire la richesse des équipages du cortège cela dépasse l’imagination ». Il sera également au champs de Mars le 5 Décembre pour la cérémonie du serment de fidélité de l’armée et la distribution des aigles. Sa dernière phrase indique quelle sera sa prochaine mission : « Voici bientôt mon tour de venu pour aller embarquer 3 mois à Boulogne ».
Campagne d’Allemagne
Au lieu de cela, le 28 Janvier 1805 Charles va obtenir une permission et s’empresse de demander à sa mère l’argent nécessaire au voyage et un pantalon neuf pour la route. Le 18 Avril, à Caen, Charles est à nouveau malade (depuis un mois). Il revient à Pont de Metz début Mai sans que son capitaine ne lui tienne rigueur de son retard. Il y est encore le 16 Juin et pense partir pour Bruxelles, mais, une nouvelle fois, cette rumeur sera inexacte car il sera, dès le 11 Juillet, à Calais au camp de St Pierre. Il n’est plus au 10ème régiment mais détaché à la 1ère compagnie du 2ème bataillon du second régiment de dragons à pied ; il se trouve en compagnie de 10000 dragons et trois régiments italiens sous le commandement du général Baraguay d’Hilliers. Les anglais« canonnent tous les jours de leur repaire mais sans beaucoup d’effets » Il s’agit probablement d’un épisode de l’engagement du 17 Juillet entre la flottille française commandée par le vice-amiral Verhuel et la flotte anglaise qui fut obligée de regagner le large.
La division Baraguay d’Hilliers (7200 hommes répartis en bataillons provisoires et issue de régiments montés à l’origine) est crée par Napoléon à la veille de la campagne d’Allemagne ; il espère, en les démontant, récupérer des chevaux sur les autrichiens pour les mettre en selle à nouveau. Dans l’esprit de l’empereur, le cheval du dragon (les plus mauvais de l’armée) n’était pas pour le combat mais pour transporter rapidement des troupes en un point qu’elles puissent tenir en attendant l’infanterie.
Début août, au camp de Saint-Pierre (aujourd’hui Calais sud), Charles pense encore que « la descente en Angleterre » va avoir lieu ; il a devant les yeux, toutes les preuves : « les préparatifs sont immenses, hier encore ont embarqué trois régiments d’infanterie et il en arrive tous les jours [...] nous sommes au moins 250000 hommes, l’empereur est arrivé à son quartier général voilà six jours et a pris le commandement de toute l’armée ».
En réalité, l’empereur va décider dans quelques jours, d’abandonner son projet anglais et de lancer toutes ses forces contre l’Autriche ; conforté dans sa décision, peu de temps après, par le blocage de sa flotte dans Cadix par la flotte anglaise qui conduira, en Octobre, à la bataille de Trafalgar. Les anglais ont écarté le danger en lançant l’armée autrichienne contre la France et en forçant Napoléon à se tourner contre ce nouvel ennemi.
C’est dans ce contexte que Charles apprend l’engagement de son frère Eugène « Je suis sûr qu’avant 6 mois, il s’en repentira ». Juge t-il que son frère n’est pas fait pour les armes ou bien s’inquiètent-il des dangers que cela va lui faire courir ?
L’empereur va donner l’ordre de départ pour l’Allemagne le 27 Août 1805 [3] et Charles va croire à l’embarquement jusqu’au dernier jour. Et pour cause.... le 21 il est embarqué ! à bord du transport « l’Ostentation » ! et c’est bien justement avec ostentation que les préparatifs se poursuivent, mais c’est pour tromper l’ennemi...et les soldats de la grande armée par la même occasion, qui ne verront pas arriver ce qui les attend. Charles est à bord depuis 8 jours ; un détachement par régiment y séjourne pendant 1 mois avant d’être relevé par un autre. « Nous sommes embarqués sur les transports où les chevaux doivent être embarqués. Il faut les voir de ses yeux pour imaginer comment des animaux de cette taille peuvent y loger, et cependant ils y seront fort à leur aise ».
Charles part aussitôt l’ordre donné le 29 Août : « Nous sommes partis à 70000 tant de Calais que de Boulogne sur 3 colonnes ». Il n’aura pas le temps de prévenir sa mère et ne pourra lui écrire que le 21 Septembre de Saint-Die (Vosges) ; il vient de faire 9 lieues depuis Lunéville et se trouvait la veille à Nancy où on lui appris sa destination : Neuf-Brisach (Haut-Rhin), une des trois places fortes que l’empereur souhaitait utiliser comme têtes de pont lors de son attaque, où son régiment s’unira à un autre régiment de dragons mais à cheval cette fois. Il devront y être dans 5 jours et devraient y rester 15. Mais attention, l’information est distillée au compte-goutte, pas question de dévoiler sa route à l’ennemi : « Il paraît que nous allons à l’armée du Rhin » ; Charles ne sait toujours pas où il va vraiment...
Pourtant le 24 Août 1805, l’empereur avait déjà tout prévu pour Charles et ses camarades : « Tous les dragons à pied qui sont à Calais partiront demain pour Saint-Omer. Le général Baraguey d’Hilliers en formera une division à pied composée de quatre régiments. Chaque division de dragons fournira un régiment, chaque brigade un bataillon ; ce qui fera des bataillons de 900 hommes, des régiments de 1 800 hommes et une division à pied de 7 200 hommes.[...] Cette division de dragons à pied partira toute ensemble, sous les ordres du général Baraguey d’Hilliers, le 10, afin que, si cela me devient nécessaire, je puisse sur-le-champ, avec ces forces extrêmement disponibles et légères, envoyer occuper des positions essentielles.[...] la division à pied se réunira à Strasbourg, et vous devez sentir qu’il est indispensable qu’elle ait son artillerie à son arrivée ; car il serait possible que je lui fisse occuper Kehl sur-le-champ. » [4]
Mais le secret fait partie de la tactique de l’empereur et au moment où les autrichiens vont rencontrer la grande armée en Bavière, leur chef, le maréchal Mack, croira encore qu’elle est à Boulogne !
Charles va écrire la lettre suivante le 20 octobre 1805 de Memminguen, il est au lendemain d’une bataille et au milieu d’un bivouac. « Tout ce que je puis vous dire c’est que rien n’a résisté aux troupes françaises, que nous avons pris cette ville ici (ville prise par Soult), il y a 8 jours et y avons fait 5000 prisonniers. Depuis 3 jours nous avons forcé les retranchements d’Ulm, fait 25000 prisonniers, tué ou blessé 10000, parmi lesquels on compte un frère de l’empereur d’Allemagne et le général Mack [...] je me porte très bien et suis venu ici pour l’escorte d’un convoi de vivres. [...] Je vous dirai aussi que je suis rentré au régiment à cheval et que je suis remonté ».
Il a sans doute passé le Rhin le 26 Septembre à Strasbourg en empruntant le pont de Kehl à la suite de la cavalerie de Murat (correspondance de Napoléon du 20/09/1805). Puis son régiment va suivre Murat à Stuttgart (2 Octobre) et de là remonter le Danube pour exécuter l’ordre de l’empereur à Murat de prendre Ulm. Il fait partie des premières lignes et des troupes qui vont garder sans cesse le contact avec l’ennemi. L’empereur ne veut pas laisser partir l’armée autrichienne et veut la détruire avant qu’elle ait pu faire sa jonction avec l’armée russe qui arrive tranquillement. Sa stratégie est de diviser son armée en plusieurs colonnes qui vont progresser de manière à encercler l’ennemi, pendant que Murat fonce sur lui. Lorsque Mack aura compris, il sera trop tard. Il essaiera de disperser son armée mais la nasse se refermera sur eux et il seront pris dans Ulm où il devra capituler. Une phase du combat aurait pu profiter aux autrichiens, le 1O octobre, ils vont bousculer les 5000 hommes de Dupont près d’Halash et s’ouvrir la route de la fuite vers la Bohème, mais ils ne sauront pas en profiter. Ney tentera de faire retomber la faute sur le général Baraguey d’Hilliers avec qui se trouve Charles, car Dupont aurait du faire jonction avec lui, mais l’enquête montrera que Ney était seul responsable de n’avoir laissé que Dupont et Baraguey d’Hilliers sur la rive gauche du Danube. Napoléon redresse la situation à l’issue d’un combat pour reprendre le pont d’Elchingen auquel participe probablement Charles. Le 15, Charles sera de ceux qui bloqueront Ulm sur la rive nord du Danube (général Marmont) lors de l’assaut de cette ville qui signera la fin de la première partie de la campagne avec la capture de l’armée autrichienne. Le prince Ferdinand a seul réussi à fuir avec Murat à ses trousses. C’est à Ulm que Charles retrouve un cheval, une partie des dragons à pied sont en effet remontés grâce aux prises de chevaux à l’ennemi.
L’armée russe de Koutousov sera à son tour vaincue à Austerlitz en Décembre ce qui mettra un point final à la campagne d’Allemagne. Il n’y aura pas d’autre lettre avant le 15 juillet 1806, mais nous savons que la division de dragons de Baraguey d’Hilliers opère en Bohème, contre le prince Ferdinand. Très peu de pertes humaines sont à déplorer dans cette campagne et Charles s’en sort parfaitement bien, même s’il a été très proche de plusieurs points « chauds ». L’armée va passer les huit premiers mois de 1806 en cantonnement en Allemagne.
Campagne de Prusse
Après un long silence, nous retrouvons Charles à Fribourg en Brisgau le 15 Juillet 1806. Il est ici depuis une dizaine de jours et attend le moment imminent de passer le Rhin (pour rentrer en France). Il manque cruellement d’argent, n’ayant reçu que 48 livres depuis 18 mois et sans être payé depuis 8 mois. Il espère beaucoup rentrer bientôt en France et passer par Nancy où il pourra trouver de l’argent ; il rêve de permission ! En réalité, début Octobre, il va entamer la campagne de Prusse contre les russes et les prussiens coalisés qui attaquent l’empire français. Il n’est plus à pied avec le général Baraguey d’Hilliers mais retourné dans son régiment de dragons montés : le 10ème dragons qui fait partie des troupes commandées par Grouchy (réserve de cavalerie de Murat). Comme d’habitude, nous n’aurons à nouveau de ses nouvelles qu’après les opérations et au premier moment qu’il aura pour écrire. Ce sera le 17 Novembre de Vichtobe : « Voilà la première fois, ma chère maman, depuis notre départ de Fribourg que je trouve l’occasion de vous mettre une lettre à la poste. Toujours volant de victoires en victoires, nous n’avons arrêté qu’après la prise de Lübeck et la totale destruction de l’armée prussienne. Nous sommes du 2ème corps d’armée et de la division du général Grouchy [...] nous sommes en route pour prendre des cantonnements dans les environs de Berlin [...] J’ai eu des nouvelles d’Eugène [...] il se portait bien et il était d’ordonnance avec un général d’infanterie. [...] Depuis notre entrée sur le pays ennemi jusqu’après la prise de Lübeck nous n’avons pas couché une fois sous un toit ayant toujours été d’avant garde. [...] le même bonheur qui m’avait accompagné la précédente, m’a aussi suivi celle-ci ».
Après la campagne d’Allemagne ; Napoléon a supprimé l’empire autrichien pour le remplacer par la confédération du Rhin sous la tutelle française. La Prusse se sent suffisamment menacée pour décider d’entrer en guerre le 26 Septembre ; Napoléon est déjà sur place et commence ses mouvements...son plan est d’avancer en Prusse sur 3 colonnes en traversant les montagnes du Frankenwald pour contourner l’armée prussienne et l’envelopper par l’Ouest. Le 10 Octobre près de Saafeld, l’avant-garde prussienne est écrasée et son chef, le prince Louis-Ferdinand tué. Les prussiens vont séparer leur armée en deux pour contrer la manœuvre mais, le 14 Octobre, Napoléon va trouver le corps d‘armée de Hohenlohe sur le plateau d’Iena et l’attaquer ; la bataille se terminera lorsque Murat et sa cavalerie chargeront pour provoquer la débandade des prussiens. Charles, faisant partie des cavaliers de Murat (sous les ordres de Grouchy), a pu participer à l’action, mais il n’en parle pas. Il est possible qu’il n’ait pas été du combat et donc employé à la poursuite des fuyards, ce qui expliquerait qu’il se soit trouvé à Lübeck. Napoléon n’a pas compris qu’il n’avait pas toute l’armée ennemie devant lui, mais son erreur est rachetée par Davout, le même jour, qui remporte lui aussi la victoire sur l’autre armée prussienne, pourtant 3 fois supérieure en nombre, à Auerstadt. La déroute prussienne est totale lorsque Hohenlohe se rend le 28 Octobre après le combat de Przelau (« une journée de lutte acharnée » selon les propres paroles de Grouchy) avec 27000 hommes et que Blücher fait de même avec 22000 hommes à Lübeck.
Napoléon avant la bataille d’Iena
Charles a certainement participé à la poursuite après la bataille d’Iena et donc au combat de Przelau puis à la prise de Lübeck, dans laquelle Grouchy est le premier à entrer (Blücher prendra sa revanche sur grouchy à Waterloo en arrivant avant lui sur le champ de bataille au grand désespoir de l’empereur....). La campagne a durée 1 mois et Charles a effectivement du trouver à s’employer durement tous les jours en mouvements ou en combats. Après de telles actions, il s’en tire le mieux du monde, et se vante de sa chance. La lettre suivante aura un tout autre registre car sa chance va tourner soudainement...
Campagne de Pologne
Début Décembre, la grande armée repart pour une nouvelle campagne. Cette fois, il s’agit de vaincre l’armée russe qui n’avait jamais pu arriver à temps pour aider les autrichiens puis les prussiens. L’affaire va se jouer en Pologne, l’empereur veut couper l’armée russe de ses arrières en la contournant, mais les russes vont se replier sur une ligne au nord du pays et les français vont rapidement arriver à Varsovie (19 Décembre). Fin Janvier, Ney et Bernadotte sont attaqués par les russes et doivent se replier ;
Napoléon à la bataille d’EylauBaron Gros - Musée du LouvreNapoléon veut profiter de ce revers pour se glisser sur les flancs de l’armée russe et il en informe Bernadotte par un message qui sera intercepté par les russes. Le général Benningsencomprend le piège et se replie vers Koenigsberg . Napoléon décide de le poursuivre, ce qui va conduire à la bataille d’Eylau le 7 Février. Celle-ci sera revendiquée comme une victoire par les deux camps mais ce sera surtout une boucherie où périront 20000 hommes.
Charles, dans cet intense épisode, a probablement été de ceux qui ont patrouillé autour des armées pour tenter de comprendre les mouvements de l’ennemi. Juste avant la bataille d’Eylau, vers le 29 Janvier, il fait partie d’une patrouille de 50 hommes qui va tomber sur un parti de cosaques de 400 hommes ; était-elle cette troupe comprenant deux officiers chargés d’un message pour Bernadotte, dont l’interception par les cosaques provoquera le repli des russes (27 Janvier) ? la suite, il la raconte dans sa lettre du 29 janvier 1808 : « Enfin il m’est donc permis, après 1 an de silence, de vous écrire. J’ai été blessé de 2 coups de lances dans l’affaire où j’ai été fait prisonnier et qui n’était qu’une rencontre d’une patrouille de 50 hommes de chez nous (Grouchy) avec une de 400 cosaques, qui, après nous avoir défendus vaillamment, nous prîmes à 19 tous blessés. Moi je l’ai été de 2 coups, l’un dans le côté droit qui m’eût ôté la vie sans la banderotte de ma giberne et l’autre dans le genou droit, mais qui sont parfaitement guéris. Depuis ce temps j’ai été envoyé jusqu’à Pern en Sibérie, distant de 1400 lieues de Paris. J’ai fait dans cette longue route une fluxion de poitrine qui m’a tenue pendant 5 mois sur les voitures, n’ayant point d’hôpitaux en Russie. Aussi jugez de ma souffrance, traîné sur un misérable chariot par le froid et la chaleur [...] la force de la jeunesse et les soins d’un camarade, d’un véritable ami, m’ont seuls sauvé, car, ayant eu le malheur d’être dépouillé jusque de la chemise que j’avais au dos, je serai péri de faim et de froid sans ses secours généreux ».
Il a été libéré 1 mois auparavant lors d’un échange de prisonniers et se trouve désormais à Postdam (Prusse) avec le dépôt de plusieurs régiments.
15 jours plus tard, il apprend à sa mère qu’il a été amené de Koenigsberg (Kaliningrad, aujourd’hui en Russie mais alors en Prusse) jusqu’à Perm (Sibérie, Oural) en passant par la Pologne, Moscou et jusqu’aux terres des tartares.
La grande armée a terminé la campagne de Pologne le 14 juin 1807 à Friedland et depuis, elle occupe le pays, cantonnée en différents endroits.
La fin du voyage
Charles va rester à Postdam jusqu’à la fin du mois de Mars 1808, puis il ira rejoindre son régiment en Poméranie, près du quartier général de la 2ème division (Betlgarde). Ses lettres ne parlent plus que de détails administratifs sur les moyens d’envoyer de l’argent et montrent combien il pense rentrer en France et mériter, parmi les premiers, le semestre de permission dont il rêve. Nous ne savons pas exactement où se trouve Betlgarde mais nous supposons que cet endroit est proche l’actuelle ville polonaise de Szczecin où se trouvait le quartier général de Soult pour la Poméranie. Charles n’est donc pas très loin de l’endroit de ses derniers exploits guerriers. Ses dernières lettres viendront de Poméranie. Le 29 Mai 1808 il a des nouvelles d’Eugène qui se porte bien et demande à sa mère un extrait de baptême pour régulariser sa fiche au régiment qui est fausse. Sa dernière lettre sera du 21 Juin. Il y exprime son inquiétude de ne pas avoir reçu de nouvelles depuis 2 mois.
Le dernier document en notre possession est son acte de décès, Charles meurt le 7 Octobre 1808 à Neamburg (probablement Neubourg) en Saxe. Sa division, la deuxième division de dragons, avait reçu l’ordre de partir. L’objectif de ce déplacement était Strasbourg d’abord, puis, Bayonne. Charles va donc mourir à quelques marches de la France.... Son acte de décès ne mentionne pas dans quelles circonstances. C’est à Bayonne, en effet, que l’empereur décide d’envoyer la moitié de l’armée du Rhin le 5 Août 1808 afin d’entrer en Espagne où les choses vont très mal pour son frère Joseph à la suite du soulèvement de la population contre le coup de force opéré par Napoléon en imposant son frère sur le trône. Beaucoup de dragons seront du voyage car ils conviennent bien aux opérations qui devront être menées dans le pays. La guerre d’Espagne dans un pays rude et contre des groupes de partisans soutenus par la population, sera extrêmement meurtrière et parsemée d’épisodes sanglants. Les français seront égorgés jusque dans leurs lits et les représailles menées par leurs camarades seront à l’avenant. Au moment où se décide ce rassemblement à Bayonne, l’empereur a décidé de se rendre lui-même en Espagne pour prendre le contrôle du pays ainsi que du Portugal et poursuivre ainsi le blocus continental contre l’Angleterre. Sa venue est motivée par l’incapacité de ses officiers supérieurs à mener les opérations à bien (trop occupés à se disputer l’autorité entre eux et à faire main basse sur les trésors du pays) ce qui a conduit aux premières défaites françaises depuis son avènement. Le point faible de l’empereur est ainsi révélé : là où il n’est pas, l’armée peut être vaincue ;
Même si il avait été jusque là, Charles avait bien peu de chance d’échapper un à destin funeste, car le temps était venu des batailles coûteuses en hommes et des marches désastreuses. Le point d’orgue sera le passage de la Bérésina pendant la retraite de Russie où Charles aurait certainement été avec l’autre moitié de la grande armée si il n’avait pas fait partie de celle qui est allé en l’Espagne. Des 400000 hommes partis à Moscou, il n’en reviendra que 10000 ! [5]
Son frère Eugène ne lui survivra qu’un an.
Charles aura été emporté par son époque, enfant de l’ancien régime, déchu par la révolution, il a pourtant essaimé les héritages républicains et les apports bonapartistes ultérieurs dans la grande Europe, imposant à ses peuples le souffle de nouvelles idées. Nous ne saurons jamais quelles étaient les siennes. Mais nous saurons discerner désormais, les traces de son sang, comme une encre sympathique mêlée à des milliers d’autres, en bas des bulletins de victoire de Napoléon.
[1] Archives départementales de la Manche, série 1 J 24
[2] Journal de guerre du capitaine Henri Amblard : FR AD 07, 1 Mi 393 archives départementales de l’Ardèche
[3] Correspondance militaire de Napoléon 1er http://www.stratisc.org/
[4] Correspondance militaire de Napoléon 1er http://www.stratisc.org/
[5] Georges Blond : « La grande armée »